La grande histoire de Marie Chouinard et de Jean Pierre Desrosiers

Pour le premier chapitre des grandes histoires arts affaires BAAM, la célèbre chorégraphe Marie Chouinard nous a ouvert les portes de son studio de l’avenue Esplanade : un magnifique local tout blanc, avec d’immenses rideaux, une superbe lumière naturelle et une vue imprenable sur le mont Royal. Au beau milieu de l’espace, devant une estrade remplie de gens d’affaires, on a l’interviewée sur un divan blanc, aux côtés du mécène Jean Pierre Desrosiers, également président de son conseil d’administration. Voici la rencontre de ces deux personnalités incontournables de la scène culturelle montréalaise.
Marie, c’est comment travailler avec un conseil d’administration ?
Cinq à six fois par année, je m’assois avec des gens d’affaires pour parler des affaires de la Compagnie. C’est à la fois fascinant et extraordinaire. D’autant plus que j’ai développé une amitié avec les membres de mon c.a. J’entends souvent des artistes dire que c’est lourd pour eux un conseil d’administration. Moi, j’adore mon conseil, j’adore les gens avec qui je travaille.
Racontez-moi votre rencontre.
Marie : Je déjeunais avec feu Marcel Côté et on se disait qu’on devait constituer un comité d’honneur fort pour une levée de fonds. Jean Pierre était assis à l’une des tables du resto. Marcel et moi nous nous sommes levés et lui avons demandé s’il voulait en faire partie. Il a tout de suite accepté. C’est à ce moment qu’il s’est joint au c.a. de la Compagnie.
Jean Pierre, depuis, est-ce que la danse a changé votre vie ?
Jean Pierre : La danse n’a pas changé ma vie. Ce sont les artistes qui l’ont changée, car, pour moi, ce sont les gens qui sont importants. Par exemple, ce n’est pas la danse qui m’a convaincu de siéger sur le c.a. : ce sont Marcel et Marie.
L’amour de l’être humain s’exprime dans chacune de vos passions. Pouvez-vous m’expliquer de quelle façon ?
Marie : J’ai choisi la danse parce qu’elle me permet de travailler avec l’être l’humain au complet, avec son intelligence, son intuition, son âme. C’est mon matériau premier et je peux le sculpter. En studio, parfois les danseurs me font verser des larmes tellement c’est beau de les voir se métamorphoser dans un rôle sous mes yeux. Travailler en studio me permet de toucher à l’essentiel de la vie.
Et croyez-vous avoir bientôt terminé de le sculpter ?
Marie : J’ai 60 ans et il me semble que je viens d’arriver à un certain début de maturité. Maintenant, quand je crée, je suis davantage détachée. Je me sens libre et je m’en fous si c’est bon ou pas. Je veux seulement créer et m’amuser. C’est pourquoi je me vois travailler jusqu’à 100 ans et prendre ma retraite… entre 100 et 120 ans.
Jean Pierre : Et, moi, même si je suis plus vieux que toi, je vais te suivre!
En quoi la créativité vous est-elle utile lorsque vient le temps d’aller chercher du financement ?
Jean Pierre : Quand on s’occupe d’une seule soirée de financement par année, on n’a pas besoin d’être créatif dans son approche. C’est lorsqu’on s’occupe de 5 soirées qu’on a besoin de l’être ! Moi, par exemple, je n’ai pas eu le choix d’être créatif, parce que j’aime me coucher de bonne heure. Quand j’étais sur le conseil du Prospero, par exemple, j’ai pensé à offrir des soupers chez moi à l’encan avec Gabriel Arcand et Andrée Lachapelle.
Les arts sans les affaires ou les affaires sans les arts, est-ce possible ?
Marie : Oui. La beauté a toujours été là, même avant les sociétés humaines. Si on m’enlevait tous mes moyens, je continuerais de créer quand même.
Jean Pierre : Ma vie sans arts serait beaucoup moins le fun. Lorsque je travaille avec des artistes, ça ajoute quelque chose à ma vie. Et je pense que, en 2015, on a un devoir de tous travailler ensemble pour faire des choses extraordinaires. La preuve, c’est que sur le c.a. du Conseil des arts de Montréal, il y a 400 organismes et que, sur ce nombre, 390 autres se battent pour survivre. Par exemple, le Conseil des arts de Montréal subventionne de nombreux organismes artistiques. De ces nombreux organismes, la grande majorité se bat d'exercice en exercice pour survivre.
Comment peut-on faciliter la relation entre le monde des arts et celui des affaires ?
Jean Pierre : Avec BAAM, c’est un bon début. On a aussi besoin de plus de Marcel Côté qui offre leur aide et de Marie Chouinard qui l’accepte. Ça prend aussi des jeunes qui se mettent ensemble et qui veulent faire arriver les choses.
Au sein de la relève, comment peut-on créer des liens plus forts entre les arts et les affaires ?
Marie : Il faut éduquer les plus jeunes à contribuer dans la société. Le plus important, pour eux, c’est de trouver des artistes qu’ils aiment et à qui ils peuvent apporter quelque chose. C’est vraiment une question d’amour, d’amitié et d’envie de partager.
Comment les gens d’affaires peuvent-ils faire pour rentrer en contact et aider les artistes ?
Jean Pierre : Ça fait du bien de travailler avec une compagnie ou un artiste en devenir ! Par exemple, pendant 3 ans, j’ai été sur le c.a. du théâtre La Chapelle où j’ai entre autres travaillé avec Clara Furey. Moi, j’aime mieux m’impliquer avec de petits organismes, où je peux être près des artistes. Comme ça, je connecte avec eux plus facilement et je peux les aider à se développer.
Marie, toi, as-tu un conseil pour la relève d’affaires à Montréal ?
Marie : Faites ce que Jean Pierre vous dit ! (rires)
Jean Pierre : C’est important d’impliquer les gens d’affaires comme nous. Je ne m’implique pas pour donner mon avis sur ses spectacles, mais pour le financement. Il faut s’impliquer à la hauteur de ce qu’on est capable de faire. Je rajouterais ceci. Dans ma vision des choses, lorsqu’on donne, il faut que ça fasse mal ! Donner 200$, ça ne fait pas mal. Y’a 2 ans, j’ai donné 60% de mon salaire. Cette année, 30%. Si ça ne te fait pas un peu mal, ce n’est pas du mécénat. Et si tu payes 200$ pour obtenir 200$ de services, non plus. Faut apprendre à donner pour la cause et non pour l’événement. Donner 200$ lorsqu'on gagne 100 000$, ça ne fait pas mal. Depuis plusieurs années, je donne une partie importante de ce que je gagne. Pour moi, si ça ne fait pas un peu mal, ce n'est pas du mécénat. Aussi, si tu paies 200$ et obtiens en contrepartie 200$ ou presque de services, non plus. Faut apprendre à donner pour une cause et non pour un événement.
Y a-t-il d’autres formes d’aides que l’on peut offrir à part l’argent ?
Marie : Oui, ça peut être simplement de faire partie d’un c.a. et d’offrir ses conseils et ses services.
Jean Pierre : Il faut déterminer ce qu’on a à offrir quand on veut être sur un conseil. Et surtout, s’assurer qu’on apporte quelque chose.