Des univers créatifs où l’espace physique est la clé

Publié le 1er décembre 2017 par Frédéric Bourgeois-LeBlanc

Le 22 novembre dernier se tenait le traditionnel Rallye des arts de la Brigade Arts Affaires de Montréal (BAAM), où professionnels du milieu des affaires et passionnés d’art sont invités à prendre part à une plongée interactive dans l’univers de cinq créateurs ou groupes artistiques. L’événement fut couronné de succès. La poète et slameuse Queen Ka, la compagnie Nadère arts vivants, la troupe [ZØGMA], deux professeurs compositeurs du Conservatoire de musique, ainsi que des étudiants en interprétation du Conservatoire d’art dramatique furent nos invités cette année. Autant leur démarche artistique respective était authentique, autant j’ai trouvé que chacun mettait grandement en valeur l’espace qui lui était accessible pour sa performance. Donc, sous une thématique plutôt axée sur le mariage entre espace, son et mouvement, voici un aperçu de mon expérience personnelle à titre de participant.

Comme la tradition le veut, nous étions tous rassemblés pour la première performance, durant laquelle les danseurs de [ZØGMA], le collectif de folklore urbain, nous ont invité à nous joindre à eux sur la scène de l’auditorium. Trois danseurs étaient accompagnés d’un percussionniste. Le public devait y jouer un rôle primordial : créer un espace clos sur la scène en entourant les artistes et ainsi réduire au minimum l’espace disponible pour la danse. Mariant pas de danse, percussion et chant tribal, les quatre hommes ont usé de leur grande énergie, pendant plus de vingt minutes, pour construire un univers sonore et visuel parfois très exotique et complètement axé sur le mouvement. Faisant quelques échos à la danse africaine ou même à la danse traditionnelle amérindienne, évoquant la démarche de nos ancêtres au temps de la colonisation européenne, leur spectacle incorporait un jeu avec de grands panneaux de bois, qui leur permettaient de circonscrire leurs mouvements dans l’espace. Le public était sans cesse encouragé à fermer le cercle autour des artistes, réduisant l’espace de jeu de plus en plus. Ils sont tout de même parvenus à assembler avec leurs panneaux, un imposant cube de bois, qui leur a aussi servi de tambour géant. La prestation s’est conclue sous des applaudissements nourris. Une première expérience forte en mouvements et en son, ce qui nous préparait pour la suite de la tournée. Disons que j’étais complètement réveillé !

Quelques étages plus hauts, bien assise sur son tabouret et entourée de ses deux musiciens dans un décor plus feutré cette fois, la poète Queen Ka, Elkahna Talbi de son vrai nom, nous attendait impatiemment. Sa démarche artistique pourrait se résumer à un mélange de poèmes — des textes inspirants livrés dans une langue québécoise bien assumée en incluant parfois des mots d’anglais — avec la musique planante de ses deux complices : Blaise Borboën-Léonard et Stéphane Leclerc. La très belle intimité ainsi créée et la nature introspective des textes invitaient l’auditoire à entrer dans l’univers de la slameuse, qui nous a réellement permis d’engager un dialogue personnalisé avec elle. Parfois triste, parfois drôle et parfois philosophique, la poésie de la sublime Queen Ka nous a amenés à explorer une multitude d’émotions. Elle a de plus répondu avec intérêt à toutes nos questions sur sa démarche. Il est bien difficile d’étiqueter cette forme d’art puisque le ton varie beaucoup d’un morceau à l’autre. Une très belle première exploration en ce Rallye. Une première invitation très chaleureuse de la part d’une artiste qui apprécie clairement l’échange avec le public.

Tels des élèves en sortie de classe, nous étions par la suite invités à rejoindre les compositeurs et professeurs de musique Louis Dufort et Martin Bédard dans l’un de leurs studios de création. Ils ont, pour leur part, choisi une approche plus théorique pour décortiquer la démarche artistique derrière la composition électroacoustique. Louis Dufort a commencé par passer en revue l’évolution du montage sonore au fil de l’implantation de nouvelles technologies. Je retiens que le montage a commencé sur des plateformes plus analogiques, par l’usage de bandes de pellicule. Maintenant, il est intéressant de voir comment les sons sont emmagasinés d’une tout autre manière : à titre de segments numériques, malléables à la fois comme éléments sonores, mais aussi dans l’espace physique (nous avons pu voir des expériences électroacoustiques dans lesquelles des compositeurs pouvaient émettre des sons grâce au mouvement et à des capteurs installés sur leurs membres). 

Présentant quelques échantillons de son travail, Martin Bédard a par la suite approfondi cet univers en nous parlant de captation sonore. Assez intéressant d’ailleurs de constater que de capter les sons environnants, dans un garage par exemple, et d’y appliquer divers effets sonores informatiques peut créer une mélodie unique en soit. Certains projets de création visuelle en 3D accompagnent parfois des compositions musicales en exposant des formes organiques, en constante modulation selon le rythme de la musique. Finalement, pour conclure sur une plus haute note, nous étions invités à performer pour nos mentors, en émettant des sons de voyelles en plus de quelques onomatopées dans l’espace du studio. Ces sons captés par des micros et filtrés à l’aide d’effets numériques ont produit une charmante composition sonore, faisant de nous des interprètes par l’émission de sons bien simples. Une autre belle expérience interactive ! 

Le prochain arrêt allait réclamer toute notre attention, autant physique que mentale, puisque Andréane Leclerc, fondatrice de la compagnie Nadère arts vivants, et ses coéquipières nous ont immédiatement invités à nous joindre à elles sur scène. Pour un bon dix minutes, nos chaussures laissées de côté, nous avons participé à une séance d’étirements, la maîtresse de jeu nous encourageant à rester constamment en mouvement afin d’entrer dans une méditation pour sentir tous les muscles de notre corps se réchauffer. Je dois admettre que ça m’a donné une meilleure idée de la rigueur physique nécessaire pour être contorsionniste, prenant en considération que cette séance était parfois effectuée pendant plus de 45 minutes lors de ses propres répétitions. Valorisant un dialogue plutôt qu’une prestation devant les participants, nous avons pris part à sa réflexion, à titre d’analystes du corps, assis en cercle autour d’elle. Dans une atmosphère prônant la relaxation et la paix intérieure, elle nous a confié qu’elle ne catégorisait pas son travail comme de la danse, mais plutôt comme une exploration poussée du corps et de sa flexibilité. 

Pour nous démontrer ce qu’elle voulait dire, nous avons repris place dans nos sièges de spectateurs pour assister à une « expérience » physique avec son élève, Marie-Ève, une artiste en apprentissage de ce « nouvel art de la contorsion ». Appuyée sur le mur du fond de la scène, donnant l’impression qu’elle tentait de s’enfuir par tous les moyens, j’avais pourtant l’impression qu’elle était en parfaite harmonie avec son corps, mais que seule son âme souffrait. Faisant aussi usage de ses talents de comédienne, ce fut un très beau mélange entre jeu théâtral et contorsion. Une prestation dans le silence le plus profond, mais qui résonne grandement à l’intérieur. 

C’est dans une ambiance d’échange, de discussions et d’humour que nous avons conclu notre rallye dans la salle de répétition des étudiants du Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Sous la supervision du metteur en scène et professeur de jeu Jean-Simon Traversy, nous avions accès, en grande exclusivité, à la répétition de leur prochaine pièce, qui sera en représentation au Conservatoire, dès janvier 2018. Avec cinq comédiens sur scène, un metteur en scène et son assistante analysant le jeu et les répliques, nous étions également libres d’intervenir, de poser des questions et même, de faire part de nos commentaires sur la manière dont les comédiens interprétaient leur personnage. L’objectif n’était aucunement d’interrompre le travail des jeunes comédiens, mais plutôt de soumettre une opinion en fonction de notre première lecture de la scène. En d’autres mots, nous exercions notre regard analytique et critique à titre de premier public, une démarche cruciale pour permettre aux comédiens d’apprendre et d’explorer de nouvelles techniques de jeu. Nous avions tous de petits metteurs en scène en nous, et c’était une occasion en or pour prendre la parole et partager notre regard sur le jeu d’acteur au théâtre. Je souhaite aussi souligner le super sens de l’humour et de l’autodérision de Jean-Simon Traversy, qui a créé une atmosphère détendue et positive. Ça nous donnait le goût de nous retrouver sur scène à notre tour ! 

Somme toute, après un Rallye des Arts fort en découvertes, je crois personnellement que tous les artistes réunis ce soir-là au Conservatoire de musique et d’art dramatique ont trouvé avec nous une nouvelle définition à l’expression « espace de jeu ». Certes, la nature de leur démarche artistique respective était bien différente, mais j’ai trouvé que toutes les stations nous ont permis de redéfinir le rapport de l’art à son espace de représentation. Les artistes semblaient incités à adapter leur démarche artistique dans l’espace à notre présence et à notre tour, nous devions adapter notre présence physique à leur univers. C’est une si belle marque d’ouverture d’esprit et d’acceptation que de valoriser l’inclusion d’un public dans leur bulle créative ; nous avons eu la chance d’avoir une conversation bidirectionnelle avec les artistes en plein travail. Et peut-être avons-nous aussi un peu laissé notre marque au sein de leur grand univers.

Sur ce, je vous dis au revoir et à l’année prochaine pour une nouvelle édition du Rallye des arts ! 

Frédéric Bourgeois-LeBlanc Billet par : Frédéric Bourgeois-LeBlanc