La grande histoire de Lorraine Palardy et de Robert Dutton

Publié le 22 mars 2016 par Catherine Perreault-Lessard
5a7 BAAM Les Impatients

C’est dans la salle d’exposition des Impatients, au milieu des magnifiques œuvres produites par les participants aux ateliers qu’offre l’organisme aux personnes ayant des problèmes de santé mentale, que BAAM a tenu son troisième chapitre des grandes histoires arts affaires BAAM. Nous avons rencontré sa présidente-fondatrice Lorraine Palardy, aux côtés de Robert Dutton, ex-PDG de RONA et membre de son conseil d’administration depuis plus de 20 ans. Madame Géraldine Martin, éditrice adjointe et rédactrice en chef du Groupe Les Affaires, a généreusement accepté d’être la modératrice de cette passionnante discussion.

Géraldine : Comment Robert s’est-il retrouvé sur le conseil d’administration des Impatients?
Lorraine : La première fois que nous nous sommes rencontrés, c’était dans un atelier de peinture, dans un sous-sol de Montréal-Est. Dès qu’il est entré, Robert m’a demandé : « Comment est-ce que je peux t’aider ? »

Robert : C’est la conjointe d’un collègue qui m’avait tiré le bras pour aller à l’atelier ! Elle m’avait demandé d’aider les Impatients à lever des fonds. Une fois sur place, j’ai tout de suite été touché par l’enthousiasme et la passion de Lorraine. J’ai aussi eu un coup de cœur pour les gens souffrant de maladie mentale qui étaient là. J’ai immédiatement senti que je recevais quelque chose de leur part. Ce qui m’a beaucoup plu aussi, c’est qu’ils faisaient de l’art brut, qui dérange l’establishment des psychiatres. J’ai aimé ce côté délinquant !

Géraldine : Robert, est-ce que votre implication auprès des Impatients vous a transformé comme gestionnaire?
Robert : Aujourd’hui, les Impatients, ça fait partie de mon hygiène mentale. Je sais qu’il y a toujours un endroit où je peux aller et où je vais être bien : leur atelier. Et, quand j’étais président chez Rona, mes employés sentaient que la maladie mentale n’était pas un sujet tabou. D’année en année, on ne se posait pas la question à savoir si on allait, oui ou non, leur donner de l’argent : on donnait.

Géraldine : Comment avez-vous réussi à vendre une cause comme la maladie mentale, souvent considérée comme tabou ?
Lorraine : En y croyant ! Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques années, on a eu l’idée d’illuminer l’hôpital psychiatrique Louis-H Lafontaine avec 70 000 lumières. À l’époque, les gens nous disaient que ça n’avait pas de bon sens et qu’on ne pouvait pas illuminer un endroit où il y a des fous… Mais, nous, on y croyait. Et on l’a fait. C’est en réalisant des choses comme celle-là qu’on a sorti la maladie mentale de notre sous-sol !

Géraldine : Ce n’est pas toujours évident de vendre sa cause lorsqu’on sait qu’il y en a beaucoup et que les gens d’affaires sont extrêmement sollicités…
Robert : C’est pour ça qu’il faut innover. C’est ce qu’on a fait en créant des coffrets spéciaux et des disques de duos improbables. Chez les Impatients, la créativité se reflète à tous les niveaux. Je dois avouer que, lorsque j’ai commencé à m’impliquer, j’avais peur que les arts prennent le dessus sur les personnes, mais Lorraine a toujours su équilibrer les deux.

Géraldine : Maintenant, nous aimerions beaucoup vous entendre sur la relève philanthropique au Québec…
Robert : Je suis un grand défenseur des jeunes. Ce qui m’impressionne le plus, c’est leur grand sentiment de responsabilité sociétale. On dirait que ça fait partie de leur ADN. À la lumière de ça, je crois que c’est à nous de prouver à cette génération que notre cause vaut la peine. Si on veut changer le monde, il faut donner de la place aux jeunes.

Lorraine : Je n’ai pas la même expérience que Robert... Je me questionne un peu quant à leur engagement à long terme. Je dois tout de même dire que nous avons créé des liens avec plusieurs jeunes au cours des dernières années et qu’ils amènent une nouvelle dynamique.

Géraldine : Selon vous, qu’est-ce qu’y manque pour attirer ces jeunes dans le monde de la philanthropie ?
Lorraine : C’est un effet d’entraînement. Si ton ami aime ça, il va t’amener. L’art, c’est porteur… c’est la vie !

Géraldine : Le nerf de la guerre reste le financement…
Robert : Il y a actuellement un mouvement dans le milieu des affaires selon lequel ce n’est pas aux entreprises de faire des dons. Ça me préoccupe beaucoup. C’est pourquoi je me dis que notre engagement personnel va être d’autant plus important.

Géraldine : Dites-nous, les grands donateurs sont-ils moins nombreux qu’avant?
Lorraine : Tout le monde sait qu’il y a actuellement un désengagement du gouvernement en matière de financement et qu’il y a de moins en moins de financement récurrent. Résultat, on est toujours en train de courir après l’argent et on n’a pas le temps de réfléchir. Et un organisme qui n’a pas le temps de réfléchir à son positionnement court, selon moi, de grands risques. Mais, est-ce que le financement est plus difficile qu’avant ? Je ne le sais pas. Je crois que ça restera toujours une job difficile. C’est pour ça qu’il faut se réinventer.

Géraldine : Si vous étiez ministre de l’économie, que poseriez-vous comme geste ?
Lorraine : Je créerais un comité de sages qui m’aideraient à réfléchir sur des orientations à plus long terme. J’augmenterais aussi le budget de la culture, parce que, la culture, c’est rentable. La culture, c’est aussi l’art de vivre ensemble et si on n’a pas ça, on oublie pourquoi on vit en démocratie.

Robert : Moi, je rappellerais que le coût pour un atelier de 2 heures avec un patient chez les Impatients est de 10$ alors que s’il passe une nuit à l’hôpital, ça coûte 1500$ !

Géraldine : Et si vous êtes ministre de la santé…?
Lorraine : J’abattrais les CHSLD. Je mêlerais les personnes âgées  avec des enfants et je leurs trouverais un milieu qui fait place à la beauté.

Robert : On a déjà eu de l’aide plus substantielle de la part de ce ministère, mais, aujourd’hui, il ne comprend pas ce qu’on fait. On apporte du réconfort et c’est plus que ce qu’un médicament peut faire. Personnellement, je pense qu’on devrait taxer le statu quo ! Sortons de nos paradigmes et de nos vieux principes.

Catherine Perreault-Lessard Billet par : Catherine Perreault-Lessard